lundi 23 juillet 2012


LE MICRO-CREDIT EST-IL UN INSTRUMENT DE DEVELOPPEMENT ?
Fernand VINCENT
  1. HISTORIQUE
  2. Dans le passé, mais aussi, de nos jours dans certaines parties du monde, le micro-crédit est souvent lié à l'usure. Les marchands, dans le Sud comme dans le Nord, qui accordent de petits crédits à ceux qui ne peuvent joindre les deux bouts ont été les premiers à prêter de petites sommes aux villageois qui n'avaient pas l'argent pour payer les médicaments ou l'écolage des enfants. Malgré les taux d'intérêts très élevés, souvent camouflés en remboursements en nature au moment de la récolte, les usuriers avaient du succès et se sont enrichis car ils étaient proches des besoins des populations parmi lesquelles ils vivaient. Cette proximité et cette intégration du prêteur dans le milieu culturel des emprunteurs est important car cette connaissance réciproque était le moyen de la couverture du risque.
    Peu à peu, ces prêteurs furent contestés à cause des intérêts astronomiques qu'ils demandaient. Les églises et les prêtres prirent des initiatives d'organiser le petit crédit local. Les caisses Raiffeisen en Allemagne, puis dans toute l'Europe, les Caisses Desjardins au Canada et d'autres initiatives semblables dans d'autres pays se sont créées.
    Le premier objectif de ces initiatives fut de rassembler l'épargne des populations et le curé de la paroisse fut souvent le trésorier assurant la garantie que l'argent épargné était bien en sécurité. Mais l'épargne, dans ces caisses locales servait souvent à des dépenses de consommation. Ce n'est que plus tard, que, l'épargne globale de ces caisses devenant importante, furent créées de petites banques qui commencèrent à prêter pour promouvoir des activités économiques et des entreprises locales. Aujourd'hui, les Caisses Raiffeisen en Europe et les Caisses Desjardin au Canada sont des banques importantes qui rivalisent et concurrencent les grandes banques commerciales.
    Dans le Sud, les missionnaires ont eux aussi lancé les caisses d'épargne et de crédit sur le modèle des mutuelles décrites ci avant où le risque est partagé et les gens regroupés dans un même village ou un même quartier.
    Mais le terme de "micro-crédit" est devenu connu par l'initiative des Grameen Bank du Bangladesh. Le Professeur YUNUS, las de voir les femmes incapables d'obtenir des banques locales, du crédit pour leur petit commerce prêta aux femmes, de sa propre poche, de petites sommes qui furent remboursées rapidement à 100%. De cette expérience est née la Grameen Bank qui aujourd'hui prête à des millions de pauvres
    qui remboursent leurs prêts, totalement et sans problème. Le modèle Grameen repose sur les mêmes principes que les premières caisses Raiffeisen ou Desjardins: prêts et épargne par petits groupes de personnes, surtout des femmes, qui se connaissent, se rencontrent régulièrement (chaque semaine) et qui acceptent de jouer le jeu de la caution mutuelle pour couvrir le risque éventuel que l'une d'elles ne puisse rembourser son prêt. Epargner et prêter dans le même milieu sans laisser l'argent partir à la capitale, auto-contrôle par la connaissance de la situation de chaque membre, solidarité en cas de coup dur, telles sont les valeurs reconnues du système.
    Les Grameen Bank et des initiatives semblables créées dans d'autres pays se développèrent de 1980 à 1995. Elles sont devenues des banques reconnues par les Etats et les organisations internationales.
    Récemment, sous l'initiative du Professeur YUNUS, toutes ces organisations de micro-crédit se sont rassemblées à Washington pour le premier Sommet du micro-crédit. Cette "grande messe" permit à des milliers de personnes engagées dans leurs pays, du Sud, de l'Est et du Nord, de prendre conscience de l'importance de leur action et de décider d'éradiquer, par le micro-crédit, la pauvreté du monde.
    Les dirigeants de ce Sommet mirent sur pied une politique de communication exemplaire. Par leur lobbying, les directeurs-généraux des grandes organisations internationales, de certaines banques commerciales, des Agences de coopération internationale multi et bilatérales s'engagèrent avec eux pour financer et développer le micro-crédit, "outil miracle" contre la pauvreté. Dès lors, le micro-crédit devint un terme à la mode dans le langage du développement.
    Il faut donc nous interroger sur le contenu et l'efficacité du micro-crédit. Est-il vraiment une solution pour le développement et si oui à quelles conditions ? Cette récupération du micro-crédit par les organisations internationales, et demain par les grandes banques, puisqu'il peut être rémunérateur, n'est-elle pas un danger pour les pauvres ? Le micro-crédit, s'il a un effet positif sur le développement social, est-il aussi créateur d'entreprises, et donc d'emploi, et si oui à quelles conditions ? Bref, il faut aller au fond des choses et s'interroger sur les causes des échecs et des succès et sur les limites des expériences effectuées.

  3. QU'ENTEND-ON EXACTEMENT PAR "MICRO-CREDIT" ?
  4. Il n'y a pas de consensus parmi les professionnels pour définir ce qu'est le micro-crédit.
    Les uns, influencés par les dirigeants du Sommet mondial de Washington, estiment que tout crédit de plus de 100 $ US n'est plus du micro-crédit. Les premières expériences de crédit de la Grameen Bank et des organisations prêtant aux femmes pour le petit commerce ou des micro-projets se rangent dans cette catégorie.
    Les autres, et ce sont les plus nombreux, prêtent des sommes, en monnaie locale, allant de100 à 5.000 voire 10.000 $US et plus et considèrent leurs prêts comme du micro-crédit.
    Les destinataires du micro-crédit sont généralement des femmes qui ont besoin d'un capital de démarrage pour leur petit commerce (ventes de vivres, de cigarettes, de boissons, etc), l'achat d'une vache ou le paiement de l'écolage des enfants.
    Le micro-crédit est donc étroitement lié à l'activité des travailleurs du secteur informel. Il est local et proche des gens. Quelquefois seulement, il est lié à l'épargne, en particulier en Afrique.

  5. LES DIFFERENTS TYPES D'ORGANISASTIONS QUI GERENT LE MICRO-CREDIT
Au cours de ces dix dernières années, les gestionnaires du micro-crédit se sont développés face à la demande. Ils peuvent être classés actuellement de la façon suivante :
  1. Les caisses locales d'épargne et de crédit et les tontines
  2. Les tontines sont la forme traditionnelle la plus efficace de l'épargne et du petit crédit.
    Tout comme les caisses locales et mutuelles, elles ne sont pas reliées à de grandes organisations, ni aux banques. Elles agissent de façon autonome pour un groupe de villages ou un quartier urbain. Elles reçoivent l'épargne de leurs membres, fixent elles-mêmes les taux d'intérêt sans tenir compte des lois et du marché financier. Elles sont informelles. Les membres se prêtent entre eux l'argent épargné dans le même environnement. Elles font rarement appel au marché financier et ne reçoivent pas d'aide extérieure. Leur rôle et leur fonction sont essentielles. Elles répondent parfaitement aux besoins locaux et les remboursements sont excellents car tout le monde se connaît et il n'existe que peu de risque, car il y a auto-contrôle.
  3. Les systèmes nationaux et internationaux d'épargne et de crédit
  4. De nombreuses caisses locales d'épargne et de crédit se sont organisées pour obtenir davantage de crédit que les possibilités créées par leur épargne et répondre ainsi à la demande locale ou pour placer l'épargne non prêtée. Elles ont constitué des unions et fédérations, quelquefois puissantes à l'exemple de l'APRACA (Association de crédit agricole d'Asie et du Pacifique), l'AFRACA (Association Africaine de crédit agricole) ou encore les COOCEC ou COOPEC (unions coopératives et Mutuelles d'Epargne et de Crédit). Au niveau national, en Afrique de l'Ouest, des organisations, telles par exemple Nyesigiso et Kafo Jiginew au Mali, l'ACEP au Sénégal, la FECECAM au Bénin rassemblent des dizaines de milliers de membres épargnants ou/et emprunteurs et sont des partenaires efficaces et incontournables de l'attribution du crédit au monde paysan ou aux artisans du secteur non formel urbain.
    Ces unions et fédérations représentent donc des millions de membres, plus particulièrement des milieux paysans, fonctionnaires et petits commerçants. Elles sont bien ancrées dans leur milieu et sont organisées en mutuelles de type Raiffeisen pour couvrir leurs risques. Elles font un effort important de formation de leurs gestionnaires souvent issus des caisses locales et de leurs membres. Elles sont bien gérées. Les taux d'intérêt utilisés pour rétribuer l'épargne ou prêter aux paysans, aux commerçantes ou aux femmes entrepreneurs varient selon les cas. Il est souvent en dessous des prix du marché. Il n'est pas rare de constater que ces caisses ne s'autofinancent pas, principalement à cause des frais engendrés par leurs efforts de formation. L'aide extérieure est souvent étroitement mêlée à leur financement.

  5. Les Fondations et ONG, gestionnaires de micro-crédits
  6. Depuis une vingtaine d'années, de très nombreuses fondations ou ONG se sont créées pour distribuer et gérer le micro-crédit en Amérique Latine, en Afrique et en Asie. Ces organisations agissent comme des intermédiaires entre les "financeurs" (agences de coopérations, ONG du Nord, banques, etc.) et les demandeurs de crédit, isolés ou organisés en petits groupes professionnels.
    La diminution des dons de l'aide internationale pour financer à fonds perdus des projets de développement et le transfert de ces dons vers des prêts ou des fonds de prêts aux ONG du Sud ont souvent facilité, en Amérique Latine en particulier, la création de "Fundacion del Desarollo", devenues gestionnaires de crédits accordés aux producteurs ou commerçants locaux du secteur informel des grandes villes. Dans cette ligne ou pour répondre aux besoins exprimés par les producteurs locaux, se sont créées, à titre d'exemple, IDESI au Pérou, FIE en Bolivie, SOINTRAL au Chili, APEM à Madagascar, Rural Finance Facility, Get Ahead Foundation et Start Up Fund en Afrique du Sud, Proshika, BRAAC-Crédit au Bangladesh, etc.
    Ces Fondations et ONG ont joué par le passé et jouent encore actuellement un rôle essentiel dans le développement du micro-crédit. Des millions de petits producteurs ou commerçants dépendent de leur action. Ces organisations se sont professionnalisées et offrent actuellement des services d'intermédiation financière de grande qualité.
    Proches des bénéficiaires, désireuses de les aider à progresser, ces fondations et ONG, sont des agents indispensables pour le bon fonctionnement du micro-crédit dans le Sud et à l'heure actuelle dans les pays de l'Europe de l'Est et certains secteurs des villes d'Europe et d'Amérique du Nord.
    Certes, comme nous le verrons par la suite, le coût de leur intervention est élevé, comme l'est la gestion et l'appui au micro-crédit. Dès lors, si ces organisations veulent être auto-financées et ne plus recevoir d'aide du Nord, elles doivent facturer leurs services au prix coûtant, ce qui entraîne une forte augmentation des taux d'intérêt qui comprennent souvent ces coûts d'appui.
  7. Les Banques de Micro-crédit
Depuis quelques années, entraînées par l'expérience de la Grameen Bank du Bangladesh, les grandes Fondations et ONG du micro-crédit de plusieurs pays du Sud ont leur propre banque. Limitées dans leur financement et souvent par les règles administratives nationales, ces organisations, face à la demande considérable de crédit émanant des petits producteurs et commerçants du milieu informel, mais aussi des petites et moyennes entreprises naissantes ou en développement, ont promu des instruments financiers qui ont évolué, avec l'accord des états et la reconnaissance des banques centrales, vers la création d'institutions financièrs formelles et de banques, spécialisées dans le financement du micro-crédit.

Plusieurs d'entre elles gèrent des portefeuilles de micro-crédit supérieurs à 10 millions de $US à l'exemple de Bancosol en Bolivie, de ProEmpressa au Pérou, de la Fondation Carjeival en Colombie, des Syndicate Bank en Inde, de Proshika et de la Grameen Bank au Bangladesh, de la BRI Bank en Indonésie, de K-REP au Kenya, de Rural Credit Facility d'Afrique du Sud, etc.
Ainsi, les professionnels du micro-crédit se sont donnés les instruments financiers et les banques nécessaires pour attirer et gérer l'épargne des populations et souvent des clients auxquels ils accordent du crédit et pour bénéficier des lignes de crédit accordées par les Banques internationales de développement ou les Agences bilatérales de coopération. Il s'agit donc d'un progrès important.
  1. QUELQUES QUESTIONS ESSENTIELLES CONCERNANT LE MICRO-CREDIT
  1. Le micro-crédit est-il un outil de développement économique ?
Est-il possible de créer des entreprises et donc de résoudre en partie les problèmes de l'emploi et de développer la croissance économique par le micro-crédit ?
La réponse n'est pas simple. Deux études, réalisées en Asie (1) nous donnent une première réponse intéressante :
  • Les crédits inférieurs à 100 $US, accordés principalement aux femmes, ne créent que très rarement (moins de 3%) de petites entreprises ou des emplois nouveaux. Ces crédits améliorent la situation sociale des bénéficiaires qui peuvent ainsi trouver les fonds nécessaires pour satisfaire des besoins de première nécessité (santé, nourriture, logement, écolage, etc.). Il y a donc amélioration, mais rares sont les bénéficiaires qui dépassent le seuil de pauvreté.
Ces micro-crédits ont toutefois un rôle essentiel qui est avant tout un "plus social" et en cela, il doit être développé.
  • Les crédits entre 100 et 1.000 $US sont du même ordre. Ils améliorent cependant
nettement le pourcentage (7 à 12 % selon les pays et les cas) de création d'emplois et de petites entreprises nouvelles.
  • Ce sont des crédits de 5.000 $US et plus qui déclenchent un processus de
croissance par l'investissement dans de nouvelles unités de production,
l'amélioration de la productivité et l'ouverture sur de nouveaux marchés.
Un autre exemple intéressant de gestion du micro-crédit nous est donné
par les activités de IDESI/PRO EMPRESSA au Pérou. Cette organisation d'appui (2), qui vient de créer son institution financière, gère plus de 50.000 dossiers de micro-crédits en zone urbaine et rurale et est devenue un instrument efficace de développement économique du pays.
IDESI/PRO EMPRESSA divise son marché en quatre secteurs:
    1. Le secteur micro-entreprises, de 1 à 10 travailleurs et un chiffre d'affaire annuel maximum de 40.000 $US par entreprise. Les crédits attribués à ces micro-entreprises vont de 50 à 900 $US pour une période moyenne de six mois.
    2. Le secteur petites entreprises, de 10 à 20 travailleurs et un chiffre d'affaire minimum annuel supérieur à 40.000 $US par entreprise. Les crédits attribués alors vont de 1.000 à 5.000 $US pour une période moyenne de 24 mois.
    3. Le secteur entreprises moyennes, occupant de 20 à 100 travailleurs et faisant un chiffre d'affaires supérieur à 750.000 $US par an et par entreprise. Les crédits distribués varient alors de 3 à 10.000 $US et plus par entreprise et une période de prêt de 8 à 24 mois.
IDESI/PROEMPRESSA distingue dans la gestion des ses crédits ceux, micro-crédits, attribués pour la "croissance", de ceux attribués, petits crédits, pour le "marché" (petites entreprises) et ceux attribués pour le "développement" (moyennes et grandes entreprises).

Ainsi, il apparaît nécessaire de bien choisir les bénéficiaires-cibles du crédit quand on lance un programme. Si on désire atteindre les plus pauvres, on le fera avec des crédits de 20 à 300 $US et un objectif social pas forcément rentable financièrement. Si on veut créer des emplois et augmenter de façon significative les revenus, il faut alors avoir recours à des clients différents et des crédits d'un montant plus important . Si un ONG veut s'adresser à la fois à plusieurs catégories de clients, elle devra alors séparer la gestion de chaque programme et adopter des stratégies et des méthodes différentes selon les cas.
  1. A quel taux d'intérêt faut-il prêter ?
Il y a plusieurs "écoles".
  1. Les uns, en particulier les donateurs ONG chrétiennes du Nord et leurs partenaires du Sud, défendent le principe que les pauvres ne peuvent payer des intérêts au prix du marché et qu'en conséquence, il faut prêter sans intérêt ou à des taux d'intérêt très bas (1 à 3% quelle que soit l'inflation). Certes ce point de vue est défendable, mais il est clair qu'un tel modèle ne peut fonctionner qu'avec l'aide extérieure ou, dans un milieu très localisé et restreint qui autogère l'épargne et les crédits accordés, grâce au volontariat, sans coûts financiers. Par ailleurs ces programmes ne sont généralement pas en relation avec le secteur financier moderne. Ce modèle a donc de grandes limites et peu d'avenir.
  2. Les caisses d'épargne et de crédit et les mutuelles, leurs fédérations et unions, de type Raiffeisen, adoptent des taux d'intérêt en dessous de ceux du marché, quand les états dans lesquels ils fonctionnent les y autorisent. Ils le peuvent, car ils ne rétribuent pas ou peu l'épargne récoltée (à l'exemple des caisses d'épargne et de crédit Nyegigiso du Mali) ou bénéficient de lignes de crédit subventionnées ou/et de dons de l'aide internationale. Ce modèle est appliqué dans de nombreux pays en Asie, comme en Afrique ou en Amérique Latine.
  3. De plus en plus nombreuses sont les organisations qui gèrent autrement le micro-crédit. Les taux de prêts du crédit incluent non seulement le coût de l'intérêt bancaire (y compris l'inflation), mais aussi une participation à un fonds de couverture de risque, le paiement proportionnel des appuis reçus en formation et conseils et même des contributions à des caisses de solidarité qui interviennent en cas de décès ou d'événements spéciaux.
  4. Ainsi, à l'exemple de nombreuses fondations et ONG du Sud, citées ci-avant, les taux d'intérêt des prêts varient de 2 à 5% par mois pour de petits crédits à court terme. Nombreuses sont les organisations qui prêtent donc entre 30 et 60%, voire plus. Doit-on alors parler, comme certains le font, de taux proches de l'usure ? Pas sûr ! Les bénéficiaires de crédit ne se plaignent pas de ces taux. Ils estiment recevoir des services compétents et fort utiles de ces ONG, et le coût du crédit est de toute façon bien inférieur à ceux des usuriers. En plus, il faut remarquer que ces organisations de gestion du micro-crédit sont les seules capables de s'autofinancer et donc de durer ! Lors d'un colloque d'experts, organisé par l'OCDE à Paris en 1998, nous concluions, en mettant en commun nos expériences, que les programmes qui utilisaient les taux d'intérêts les plus élevés étaient aussi ceux qui étaient les plus performants et les plus efficaces.
Dès lors, cette question a une réponse claire. On peut aider les pauvres avec des prêts sans intérêt ou à intérêts subventionnés, mais on ne peut continuer "à jouer les Mères Teresa" sans être conscients que de tels programmes ne sont pas durables et se termineront avec la fin de l'aide.
Si ces programmes veulent être financièrement autonomes, ils doivent prendre les moyens de leur politique et facturer les coûts financiers et ceux de l'appui ou de la formation aux bénéficiaires. La question ne semble plus être celle de la pauvreté, mais davantage celle de la formation nécessaire pour que les bénéficiaires augmentent suffisamment leurs revenus pour être non seulement capables de rembourser les intérêts, mais de rentabiliser leurs activités économiques et de faire du profit.
Mais est-ce aux bénéficiaires locaux, dans les villages et les quartiers, c'est à dire les plus pauvres, de payer ces frais ? La gestion du micro-crédit est très coûteuse. L'aide internationale pourrait à l'avenir concentrer son intervention sur le subventionnement de ces coûts intermédiaires (formation, participation à la couverture des risques, facilitation de négociations, coûts de gestion des garanties bancaires qui relient progressivemnent aux banques commerciales locales, etc) qui doivent être comptabilisés séparément et ne pas entrer dans les coûts de gestion du crédit.
  1. Quels risques ?
La plupart des organisations de gestion du micro-crédit annoncent des résultats de remboursement de prêts variant entre 95 et 100 %. Que faut-il en penser ? N'y a-t-il pas ou peu de risques à effectuer du micro-crédit ?
La réponse n'est pas simple. Souvent, pour des raisons stratégiques, ces organisations ne prennent pas en compte certains coûts ou non remboursements. Par ailleurs, des conditions exogènes peuvent augmenter considérablement les risques. Récemment, au Bangladesh, les inondations qui ont détruit les biens acquis par les femmes, grâce aux crédits, les ont empêché de rembourser leur crédit à la Grameen Bank. Ou encore, selon le Fonds Pérou-Canada, le risque est passé à 20% pour les petits emprunteurs qui ont été touchés par El Nino(3), ce qui oblige le programme de se restructurer complètement.

L'étude de la réalité démontre que le risque est supérieur à celui annoncé et qu'il est très étroitement lié à la qualité de l'appui et du suivi des prêts. D'où, en conséquence des coûts de suivi importants. La réussite des activités de micro-crédit n'est-elle pas alors liée à des subventions nécessaires de ces coûts qui ne devraient pas entrer dans le calcul de la rentabilité des opérations de gestion des prêts ?
Par ailleurs, les risques sont aussi liés aux compétences des organismes de gestion du micro-crédit. Trop souvent des ONG non spécialisées ont prêté et n'ont pas ou peu été remboursées. Aucun suivi sérieux, une comptabilité discutable, de bons sentiments et, en fin de compte de la "casse". Ces organisations ont fait beaucoup de tort. Elles ont confondu "dons" et "prêts". "On ne prête pas à celui qui ne peut rembourser, sinon on le tue..." dit-on maintenant au Sahel.
Il est cependant vrai que les risques sont différents selon les catégories de personnes, si celles-ci sont en groupes à caution mutuelle, ou encore s'il s'agit d'avances pour le petit commerce ou un prêt pour la production agricole. "Les femmes remboursent mieux que les hommes". C'est vrai que, si elles sont organisées, leur taux de remboursement de prêts est proche de 100%. Il est vrai aussi, comme l'a démontré Marie Christine GUENEAU (4) que certains secteurs de services ou de production sont moins risqués parce que plus rentables que d'autres.

D. Comment accéder au crédit des banques commerciales locales ?
L'objectif final, si on veut que le micro et le petit crédits aient un impact plus important et répondre davantage que maintenant aux besoins exprimés, est d'établir progressivement des relations professionnelles entre ces nouvelles catégories de clients et les banques commerciales locales. Ainsi, on mobilisera des fonds locaux, on garantira la perennité financière de ces systèmes et on cassera les liens de dépendance que l'aide internationale perpétue. Cela nécessite un apprentissage et une meilleure connaissance réciproque. Cela prend du temps. Cependant des expériences intéressantes prouvent que l'on est déjà sur la voie du succès.
Comment accéder au crédit des banques commerciales ?
Le premier moyen, bien connu, et dont on a déjà parlé est la "caution mutuelle", appliquée systématiquement dans les modèles Grameen, Raiffeisen ou Desjardins. Un groupe de villageois ou de producteurs d'un quartier, où tout le monde se connaît, se porte garant du remboursement de tous les membres du même groupe. Ce système "marche" souvent, mais systématisé, il n'apporte pas toute la sécurité dont on parle. Souvent même, les banques ne comptent pas sur la caution solidaire : trop de travail, et donc de coûts, pour récupérer une petite somme !
La couverture du risque par l'hypothèque d'un bien (sauf celle d'immeubles modernes) ne fonctionne pas bien et se révèle aussi très coûteuse. Un regard dans les jardins des ONG gestionnaires de micro-crédit est souvent intéressant. Des épaves de voitures, des outils et équipements, fruits des saisies, sont là, invendables.
Et la garantie bancaire ?C'est une des meilleures façon d'obtenir des prêts des banques commerciales. Ces garanties sont celles des salaires de membres de la famille ou d'amis. Ce sont aussi des garanties bancaires locales ou internationales.
Plusieurs fondations ont mis au point des systèmes de garanties bancaires très efficaces, à l'exemple de la Fondation RAFAD à Genève, d'ACCION aux USA ou de FUNDES en Amérique Latine. Le principe est simple : Constituer un Fonds en monnaie forte et l'investir dans une banque internationale qui accordera une garantie à une banque locale qui prêtera, parce que son risque est totalement ou partiellement couvert, aux petits emprunteurs locaux regroupés ou non. Une ONG locale est souvent l'intermédiaire de ces opérations.
Sur la base d'une étude comparative de l'impact de tels fonds (5) il a été possible de tirer les leçons suivantes :
  1. Ces fonds de garanties ont permis à des dizaines de milliers de petits producteurs, femmes et hommes, paysans ou commerçants, artisans et petits entrepreneurs du secteur non formel, "d'entrer en banque" et de recevoir les crédits qu'ils réclamaient depuis longtemps. Par ailleurs, pour les banques commerciales, ces expériences réussies de prêts aux acteurs du secteur informel, qu'ils ne connaissaient pas du tout, les ont convaincus qu'il est possible de "prêter aux pauvres et de faire de bonnes affaires". Cette connaissance réciproque est certainement le résultat le plus significatif de l'intérêt de l'utilisation de la garantie bancaire, car il permet de créer et de consolider des relations nouvelles entre partenaires qui s'ignoraient. Le marché du micro-crédit devient alors, à long terme, un secteur d'activités nouvelles pour plusieurs banques commerciales du Sud.
  2. Le deuxième résultat de l'usage de la garantie bancaire est celui de l'effet multiplicateur qu'il entraîne. En effet, si les négociations sont bien menées entre l'émetteur de la garantie et la banque qui la reçoit, cette dernière est amenée à prendre progressivement plus de risques, puisque les remboursements sont bons, et à attribuer deux, trois, cinq, dix, voire plus de crédit que le montant de la garantie reçue. La garantie internationale permet alors de mobiliser les ressources financières locales.
  3. En plus, l'émission en monnaie forte d'une garantie par une grande banque internationale du Nord est très appréciée des banques commerciales du Sud. Cela renforce leur portefeuille de bonnes relations. Par ailleurs, la garantie en monnaie forte permet d'éviter l'érosion du capital initial de garantie par l'inflation locale.

Certes, la garantie n'est pas LA solution de la couverture de risques, mais en est un des moyens les plus efficaces. L'expérience de la Fondation RAFAD (6) en douze ans a permis de conclure que :
  • les pertes moyennes annuelles d'un tel Fonds sont de l'ordre de 5%
- le multiplicateur est de 3,5 c'est-à-dire qu'avec 100.000 $US de garantie, les
banques locales ont donc attribué, en monnaie locale, pour 350.000 $US de crédit
  • l'intérêt chargé par les banques a été celui du marché, moins l à 3% selon les cas, puisque le risque était partiellement couvert par la garantie
  • que les bénéficiaires de crédit avaient à rembourser leur prêt en monnaie locale et non en devises
  • qu'après six ans, en moyenne, d'expériences positives, les banques locales ne réclamaient plus de garantie, considérant ces partenaires comme des clients

  1. CONCLUSIONS
Depuis le Sommet de Washington, le micro-crédit est devenu une mode, souvent même un nouveau gadget de l'aide internationale. Certains voient en lui la solution aux échecs répétés de la coopération entre le Nord et le Sud. Comme l'a bien décrit M. MOTCHANE dans le Numéro spécial du Monde Diplomatique sur le micro-crédit(7), le secteur privé, après l'ONU, est en train de récupérer le micro-crédit pour en faire un nouvel outil qui devrait prouver leur intérêt à "éradiquer la pauvreté".
Il est temps de dire clairement les choses. Le micro-crédit existe depuis longtemps, et on n'a pas attendu 1998 pour l'inventer. Beaucoup d'échecs et de réussites jalonnent le chemin des projets financés par le micro-crédit. Regardons le passé afin d'en tirer les leçons pour l'avenir. Le crédit est une des techniques de financement du développement. Il peut "tuer" l'initiative, comme on l'a dit précédemment s'il est accordé sans examiner soigneusement si le bénéficiaire peut rembourser ou si on l'entraîne dans le cercle vicieux de l'endettement ou de la faillite.
Par ailleurs, il faut aussi poser la question de l'impact global de tous les efforts actuels face aux besoins. En Amérique du Sud, par exemple, on a recensé plus d'un million de personnes ayant recours au micro-crédit pour un montant de 800 millions de $US (8). Or, selon Francisco DUMIE, gérant de COPEME au Pérou, intervenant lors de la récente Conférence Latino-américaine de la microfinance, "seul un dixième de la demande est satisfaite et le micro-crédit ne représente que 1% du crédit délivré sur le plan commercial" (3). Ces faits nous obligent à plus de modestie, mais nous encouragent dans l'action à mener, en particulier à favoriser et renforcer les liens avec les banques ou institutions financières locales..
Nous croyons que le crédit, s'il est bien utilisé, est un outil efficace de développement à condition d'étudier avec soin les groupes cibles que l'on veut aider.
Professionnalisme, connaissance du milieu, adaptation des moyens aux conditions locale pour répondre aux vrais besoins, ce sont là les exigences de la réussite.
Le micro-crédit est une arme contre la pauvreté, mais il est coûteux et doit être subventionné. Les petits et moyens crédits doivent être développés davantage encore, car c'est eux seulement qui s'attaquent aux causes de la pauvreté en créant des emplois et en facilitant la croissance.


Fernand VINCENT

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